Les enjeux du suivi de santé de proximité

Publié dans : Accès aux soins, vendredi 29 janvier 2016, par Marie Le Gall

Les professionnels de santé, publics comme privés, ne cessent de demander une ordonnance d’urgence aux pouvoir publics et les lignes semblent bouger petit à petit en matière d’accès aux soins. En attendant, des initiatives voient le jour afin de pallier le manque croissant de spécialistes sur certains territoires.

Aux quatre coins du monde, la France est connue pour son système de soins d’excellence. Mais en pratique, la qualité du maillage territorial révèle des inégalités criantes en matière d’accès aux soins. En effet, les déserts médicaux gagnent du terrain à vitesse grand V tandis que l’offre de soins se densifie dans les zones urbaines les plus riches.

Les déserts médicaux gagnent du terrain

C’est d’ailleurs l’objet d’un documentaire intitulé « La santé en France – enquête sur les inégalités » et diffusé sur France 2 en octobre dernier. Ce dernier pointe les dysfonctionnements d’un système à bout de souffle, parmi lesquels une désertification médicale de plus en plus criante. C’est d’ailleurs l’une des problématiques majeures à laquelle le pacte territoire santé, proposé par Marisol Touraine, tente de répondre. En effet, nombreux sont les territoires où trouver un médecin généraliste ou un spécialiste est un véritable parcours du combattant. 55% des Français se plaignent d’un délai trop long afin d’obtenir un rendez-vous chez un généraliste. La situation est encore plus inquiétante dans le cas d’une consultation chez un spécialiste : la file d’attente semble interminable chez les ophtalmologistes pour près d’un Français sur deux.

Et ces zones ne cessent de s’étendre jusqu’aux portes des villes, et notamment celles de la capitale, comme l’explique Emmanuel Vigneron, géographe de la santé. « A trois stations de RER près, on n’a pas le même accès aux soins. Il y a plus de 20 généralistes et 70 spécialistes pour 10.000 habitants près du jardin du Luxembourg (Paris 6e) alors qu’il y en a 10 à 12 fois moins à Bobigny (Seine-Saint-Denis. On ne peut pas accepter qu’il y ait de tels écarts dans l’offre de santé, donc dans l’état de santé des populations » pointe ce dernier.

La faute aux médecins ?

La répartition des médecins sur le territoire serait-elle en cause ? C’est en tout cas l’une des explications qu’ont trouvé les différents gouvernements afin de justifier la nécessité de lutter contre la désertification, et débouchant sur des mesures jugées « coercitives » par le premier syndicat des médecins français. Certes, les professionnels de santé doivent porter une réflexion face à aux inégalités territoriales, mais ces derniers se retrouvent également bien seuls face à l’ampleur du problème. Or, la situation nécessite bien plus que des mesures cosmétiques. Car la désertification illustre en filigrane le désengagement de l’Etat sur les questions de santé publique et la crise financière dans laquelle le système de santé s’engouffre inexorablement depuis de nombreuses années.

La situation préoccupante dans laquelle se retrouve le parc hospitalier français l’illustre bien. En effet, face aux difficultés d’accès aux soins, c’est l’hôpital qui voit rouge. Les Français affluent massivement vers les services des urgences proches de leur domicile, où ils espèrent être pris en charge. Or, face aux manques de moyens les hôpitaux ne sont pas armés afin de répondre à cette demande. Une impasse. « La France doit faire le deuil d’un modèle révolu » prévient Claude Le Pen, économiste de la santé. Et trouver des solutions rapidement.

Les bienfaits de la mutualisation

Heureusement les lignes bougent et des initiatives émergent à l’instar des centres de santé pluridisciplinaires, qui « regroupent au même endroit des professionnels de santé, du généraliste à la sage-femme en passant par le psychologue, et qui sont salariés par les collectivités ou par l’Etat », décrit Emmanuel Vigneron. Aussi des maisons de santé ouvrent peu à peu leurs portes comme à Auneuil qui attend ce projet depuis 2010 afin d’enrayer la désertification médicale. Les habitants pourront bénéficier des services de médecins généralistes et spécialistes mais aussi de kinésithérapeutes et d’infirmières, installés sous le même toit. Un grand pas en faveur de la santé de proximité et qui pourrait également attirer les professionnels qui souhaiteraient travailler en groupe et ainsi profiter des atouts de la mutualisation.

« Travailler en groupe permet de se décharger des tâches administratives. Une maison de santé offre aussi la possibilité de travailler en concertation avec d’autres professionnels, c’est un plus indéniable », confie Bruno Oguez, l’un des médecins du centre. Cette démarche a également séduit à Tulle où l’Association libérale de santé de proximité (ALSP), composée de professionnels de santé, lutte activement contre la désertification. Ainsi la création d’un pôle de santé pluridisciplinaire permet de fluidifier l’accès aux soins et de garantir la qualité des soins proposés.

Trouver de nouveaux relais de santé

Le but est également de « travailler différemment et mieux » insiste Jacques Trapinaud, pharmacien et président de l’ALSP, en utilisant par exemple toutes les possibilités offertes par la télémédecine. « Par exemple, une infirmière pourra envoyer au médecin traitant la photo d’une plaie qui n’évolue pas naturellement », ajoute-t-il. Cette santé de proximité se veut ainsi plus rapide et efficace car mieux coordonnée grâce à des relais précieux. Ces relais sont d’ailleurs à chercher chez l’ensemble des acteurs comme en appelle notamment le gouvernement face aux enjeux de la santé visuelle : « les compétences des opticiens et des orthoptistes doivent être pleinement mobilisées voire évoluer ; le travail aidé en cabinet doit se généraliser pour faciliter les pré-consultations, le suivi de pathologies chroniques ; l’accès à la délivrance de produits d’optique doit être facilité tout en tenant en compte des caractéristiques du patient », a déclaré la Ministre en septembre dernier.

Déjà depuis le début des années 2000, le gouvernement a encouragé les protocoles de coopération entre les professionnels de la santé visuelle : le renouvellement des ordonnances de lunettes (sous conditions) par les opticiens permet depuis 2007 de désengorger les cabinets des ophtalmologistes. Le Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof) déclare également qu’ « une ouverture vers les opticiens sera nécessaire dans les années à venir ». A condition, toutefois, que les opticiens concernés soient hautement qualifiés, comme le rappelle Yves Guénin, secrétaire général d’Optic 2000, pour lequel « le moteur, c’est la compétence ». « En 2013, nous avons inscrit une obligation de formations que 2 500 opticiens ont suivies » précise ce dernier. Une démarche qui permet aux opticiens de conforter leur rôle de professionnels de santé de proximité, là où les ophtalmologistes font parfois défaut.
Car face aux files d’attente chez les ophtalmologistes, qui restent très concentrés dans les zones urbaines ou péri-urbaines, les opticiens sont parfois les premiers interlocuteurs de la santé visuelle, dans des zones où ils sont, aux côtés des pharmaciens, les derniers professionnels de santé. Avec son maillage territorial, la coopérative Optic 2000 a d’ailleurs fait de l’accès aux soins visuels une des priorités de son développement.

Une chose est donc sûre : face à un problème aussi sensible que celui de la santé des Français, l’union fait la force. C’est d’ailleurs en grande partie le sens du Pacte Territoire Santé 2, porté par Marisol Touraine, qui prévoit par exemple le soutien au développement des « maisons de santé pluri-professionnelles ». Cette dernière explique, en effet : « Nous agissons pour donner envie aux médecins, en particulier les jeunes diplômés, d’aller dans les régions qui en ont le plus besoin. » Mieux vaut tard que jamais.